Le temps d'un passage

Carnets de Chine I (7/6/2005 - 29/6/2005)

Carnets de Chine I

 

Prochaine étape la lune... (4)

 

Mardi 7 juin 2005

 

Vu Ray hier soir, du moins cette nuit. On pouvait difficilement ne pas accorder l'oscar à Jamie Foxx ! Frissons de la tête aux pieds sur l'impro de What'd I say… L'académisme du réalisateur ne nuit pas. Ce n'est pas du grand art à la Bird, mais les prestations de Jamie Foxx et des actrices (Margie !) qui l'entourent feraient oublier les erreurs d'un débutant que n'est pas Taylor Hackford. Quant à Ray Charles lui-même, je l'ai déjà dit, de Georgia à Shake your tail feather, c'est la musique qui me touche à la fois au plus près et au plus profond. If you're going bad, listen to Ray…

 

Il serait temps que je me mette à préparer cette conférence pour laquelle je peine à me sentir sérieusement concerné…

 

Il suffisait d'en parler… La directrice a appelé vers 16 heures pour émettre des doutes quant aux capacités de ses étudiants à surmonter la complexité de certaines phrases de Vacance. Doutes que je partage, T également… La nouvelle programmation est la suivante : trois petits passages d'Elvis où apparaît Marvin, discussion… Un océan d'amour, en tant que texte achevé ; Madeleine en tant que texte à terminer…

 

Cette solitude est-elle celle de l'écriture ? Je ne perçois pas le sens de mon isolement, de mon oisiveté, je ne sais pas quoi en faire… La Chine, c'est beaucoup trop frais, rien de ce qui m'est advenu à La Rochelle ne m'intéresse en tant qu'auteur, et je débusque mes rabâchages à la deuxième phrase… Qu'est-ce que j'ai à donner ? Pourquoi faut-il que je donne ? Pour être aimé ? Mais être aimé, on l'a vu au cours des épisodes précédents, c'est risquer d'être abandonné… Donc, il faut générer des situations de blocages où le besoin de donner ne peut s'exprimer… Créer un contexte qui ne soit surtout pas aimable… La pauvreté par exemple… Auto défense inconsciente (une forme de pensée magique) qui germe sur d'antiques cicatrices quand le conscient réclame tout à fait autre chose â€¦ Il faut également prendre en compte une trouille carabinée de devoir abdiquer d'un soupçon de liberté. Tout en sachant que, en cas de contact durable, le sens du devoir (empreinte maternelle) va supplanter le désir de liberté avant même que cela lui soit demandé… Etc, etc. Immense fatigue.

 

Il faudrait décrire ces shanghaiens qui sortent en pyjama (à pois, à carreaux, à rayures ou léopard, à midi ou à quatre heures, à pieds ou à vélo), mais aussi Feng qui s'est présenté à moi avec une gentillesse irrésistible alors qu'il rentrait son vélo et que je sortais le mien, la caissière à peine finie de la supérette du coin qui se plante à chaque client ou presque, la vendeuse magnifique d'un magasin un peu huppé qui ne la mérite pourtant pas, le couple de propriétaires malsains, mais les descriptions m'ont toujours ennuyé. Il faut réussir à ce que l'idée suffise… Si elle est correctement présentée, chacun à son bestiaire.

 

Mercredi 8 juin 2005

 

Pour son anniversaire aujourd'hui (34 ans), T s'est occupé de mon adsl. Il vient de m'apprendre que les techniciens viennent demain matin pour la connexion. Je l'espère ! La réclusion de ces quelques jours me rappelle le voyage d'Anne au Japon… Les bruits de la rue, la solitude et la chaleur dans l'appartement vide… La TV est ici avantageusement remplacée par les DVD. Un certain calme ouighour s'est installé dans l'appartement, j'ai recouvré mes esprits, vois mieux les tenants et les aboutissants… Tout simplement, j'ai quelques rendez-vous… Des surprises m'attendent, je n'ai plus qu'à souhaiter que le plateau de la balance soit équilibré.

 

Jeudi 9 juin 2005

 

Rencontré K de chez Publicis et revu Pian Ze, hier soir, à l'anniversaire de T. Soirée très sympa, Xu Tao en forme, tout le monde charmant… J'avais amené une Absolut citron, elle n'a pas résisté… En début de soirée, j'avais d'abord lu l'accumulation de mes mails. Dimi n'en mène pas large quant au bac mais au moins il écrit. Jorm' aussi, toujours sans répondre à la question Bouygues, et toujours en posture aussi délicate sur bien des dossiers. Leurs histoires d'amour sont de qualité, c'est déjà beaucoup, mais pas de rigueur des deux côtés, au contraire la religion des plaisirs et des loisirs… Ce qui ne pose aucun problème moral mais, comme toute chose, ça a un prix : la somme d'emmerdements et de situations précaires qui empoisonnent l'existence au point d'exiger davantage encore de plaisirs et de loisirs compensatoires, etc. Cercle vicieux. Les petits bracelets chinois que je leur ai fait parvenir ainsi qu'à leurs copines ont plu ce qui me touche beaucoup. Je les aimerais beaucoup plus réactif en terme de communication mais j'ai déjà énormément de chance que leur mère m'ait donné ces deux animals-là! Beaucoup de mails de F aussi qui, cette semaine, a bouffé du lion et s'apprête à aller à HK pour chercher le financement. Je suis loin des dossiers, du jargon, bien du mal à me mettre dedans… Je ne sais pas comment se terminera cette journée de lecture à l'AFS mais elle a commencé par l'installation de l'adsl…

 

Vendredi 10 juin 2005

 

La conférence a été aussi nulle et sympathique que je le subodorais. Essentiellement composée d'étudiants de l'AFS, l'assemblée – une trentaine de personnes – a sagement écouté la lecture, certains l'ont même regardé passer très au-dessus de leur tête. La directrice m'a bien soutenu, a été très pertinente, et quatre ou cinq personnes dans l'assistance - dont une superbe plante vénéneuse toute en séduction qui a eu la bonne idée de s'enfuir à peine l'heure sonnée! – ont permis à cette soirée littéraire de fonctionner. F m'a fait la surprise de débarquer de Changzhou en pleine lecture, la directrice nous a offert le restau en compagnie de sa médiathécaire. Rien à signaler, courtoisie, gens de bonne compagnie. La suite dimanche 19 pour l'atelier…

 

Passé la journée au bureau à faire du relationnel et de la mise en place à distance. Paperasserie, etc, plus gestion par mails de F, en crise de nerfs déplacée – comme toutes les crises de nerfs ! – pour cause de fatigue, de tension… Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Tout seul au milieu de 100m² vides, à Shanghai, échafaudant de mirifiques plans de conquête du monde. Papillons qui se brûlent d'une ampoule à l'autre…

 

Eu des nouvelles de mes fils, aussi. Dimi s'estime à peu près satisfait et confiant quant à la philo, Jorm' a quelques heures sup qui lui permettront en partie de solder Bouygues Télécom… Bref, ils sont dans la vie et c'est bien, même si ce n'est pas aussi facile que nous le souhaiterions.

 

Mardi 14 juin 2005

 

Xu tao est peut-être la plus belle âme que j'ai rencontrée dans ma vie. Ce jeune homme de 27 ans est tout en douceur et gentillesse sans ignorer une certaine fermeté. Son humour est particulier… Il vient de très loin au nord-ouest – 24 heures de train ! Sa mère est prof d'histoire, son père est dans l'armement, sa famille maternelle est à Washington, et lui, il dessine des logos pour une petite boîte de com (500€ x mois) après avoir quitter Publicis pour cause de pression trop importante… Il ne rêve que de Beijing (Pékin), de musique, de milieu culturel… Il m'emprunte des CD les uns après les autres et revient à chaque fois plus enthousiaste. C'est tout juste si nous avons pu lui parler d'argent quand nous lui avons confié la réalisation du logo d'ALC à partir d'un de mes croquis. Xu Tao est donc notre premier intervenant et je le considère comme un véritable porte-bonheur. Si nous nous apprécions beaucoup, mon esprit mal tourné ne peut exclure que cela provienne du fait que le langage des mots est considérablement restreint. 85% d'anglais plus que basique, 10 de chinois encore un cran en dessous, et 5% de français pour rigoler… Cela lui évite d'avoir à supporter mes analyses aussi pointues que déprimantes. Il m'a invité au moins une dizaine de fois déjà, et même fait promettre d'aller le voir, à Beijing où il rejoint sa compagne, Jin Lan, à la fin du mois. T, lui, part à Guanghdong (Canton) début septembre et j'y suis invité aussi, notamment pour rencontrer Wan Lei, son copain chinois prince de l'électro dont il doit rejoindre le groupe. J'aimerais être pris au milieu d'une tornade professionnelle qui m'oblige à me battre pour libérer un week-end et répondre à ces invitations.

 

Passé ces trois derniers jours à préparer le voyage de F à HK (présentation des objectifs pour le cabinet comptable, bilan prévisionnel pour les investisseurs) et à jeter les bases de notre partenariat avec l'Inde. Aussi à prévoir le déroulement de l'atelier de dimanche… Quasiment pas mis le nez dehors, juste pour acheter des clopes puisque je fume à nouveau depuis que je suis à Shanghai… Solitude, ennui, et 0,40€ le paquet de blondes light très honorables, mes poumons attendront bien l'arrivée d'une femme… Évidemment, je mange moins, bois plus de tisane et de thé vert, il fait chaud, donc je maigris. J'ai encore de la marge… Anecdote formidablement amusante, lorsque j'ai acheté mon premier paquet, j'ai acheté un briquet en même temps, forcément. Je n'ai pas choisi, le type me l'a tendu – un truc assez moche, turquoise, avec une petite inscription en Chinois mais, à 0,10€, on peut difficilement se plaindre. Le soir, T me le prend de la main pour lire ce qui est écrit dessus : « Il est difficile de garder une famille unie. Â»

 

Que penser d'une jeune femme qui, après que vous l'ayez croisée une heure chez un ami lors d'une soirée, évoque dans sa réponse à votre premier mail la taille du sexe de son partenaire actuel? Vous avez vingt minutes pour répondre sans porter aucun jugement.

 

Au chapitre des DVD, rien d'extraordinaire… Si, j'ai revu The Hours en anglais vo/vo, toujours aussi talentueusement poignant. Sinon , une soirée sud-américaine avec Motorcycle diaries qui force la sympathie en vo et english subtitles, de même que pour Maria full of grace, hélas, bien terne dans sa mise en scène et sa lumière. En revanche, en vo non sous-titrée, je n'ai rien compris à The Mandchourian candidate, une américanerie assez fumeuse, m'a-t-il semblé, autour de la première guerre du Golfe ; aussi eu les nerfs féroces après la joie d'avoir débusqué 2046 de Wong Kar Wei pour constater que le DVD était vierge ; aussi dû admettre une fois de plus avec Arsène Lupin que les Français ne savent pas utiliser les seconds rôles – la moindre absence à l'image de Romain Duris et/ou Kristin Scott Thomas fait basculer l'Å“uvre au rayon des téléfilms lettons de fin de matinée (si ça existe !) ; pour finir, l'extraordinaire Julian Moore a bien du mal à sauver The Forgotten d'un pathos à la sauce X-Files…

 

En gambadant sur le net, je viens d'apprendre la libération de Florence Aubenas. Cette femme est un phénomène qui échappe à lui-même. C'est quasiment le mystère de la vie, au moins celui de Mona Lisa ! Comment peut-on focaliser tant de sympathie, pour ne pas dire d'empathie, à partir d'un visage, d'une simple photo ? Je serai curieux d'entendre sa voix… Quelle ouverture dans ce regard !

 

Lundi 20 juin 2005

 

La journée d'atelier d'écriture hier à l'AFS a concerné trois, puis deux personnes. Sur douze inscrits, c'est peu, mais très bien comme ça pour ce qui me concerne. La médiathécaire a participé à l'écoute et aux commentaires ; les deux étudiantes ont été aussi étonnantes que la Chine peut l'être. L'une d'entre elle, Annie, environ 28 ans, pas très jolie, très timide, apprend le Français depuis huit mois. Le thème de la journée était la mémoire, le souvenir… Avec quelques erreurs de syntaxes mais aucune ou presque de grammaire ou d'orthographe, ses productions n'ont jamais fait moins de deux pages. L'autre, Julie, plus jeune, en partance pour Bordeaux où elle doit poursuivre un Master de Lettres Modernes, apprend depuis un an à l'AFS après s'être lancée seule… On peut franchement parler de style. Très étonnant. Suite et fin dimanche prochain en vue d'une publication de leurs textes dans le journal de l'AFS.

 

F a appelé de Shenzhen vers 18h pour dire que tout c'était bien passé même si pas comme prévu. Comme prévu…

 

Mardi 21 juin 2005

 

Histoire de me calmer, d'arrêter de ressasser, d'avoir moins chaud, de me rafraîchir les idées, j'ai tenté mon premier coiffeur. Un coiffeur de luxe à 8€ ! Les autres petits salons de quartier qui pullulent avec leurs cinq ou six apprentis sur douze mètres carrés sont à 2 ou 3€ le shampoing coupe, mais il faut le sentir pour entrer… Là, c'est Joe de chez Hair Culture qui s'est occupé de ma tête après que son assistant m'ait préparé. Double shampoing, baume embellisseur, massage crânien, thé vert, puis Joe arrive, lutin sautillant, coiffé en pétard comme tous les jeunes branchouilles de Chine et de Navarre, comme nous à la fin des années 70. J'avais amené une photo de moi en perspective d'un anglais déficient, Joe l'observe attentivement et la commente dans un anglais très correct… J'ai toujours détesté que l'on m'appelle monsieur, mais j'avoue que sir me plaît assez… Joe et son assistant (m'ôtant le moindre cheveu malencontreusement tombé sur mon visage) vont ainsi papillonner une grosse demi-heure autour de moi pour m'offrir la coupe de cheveux la plus clean et satisfaisante que j'aie jamais eue. Des cigarettes au restau en passant donc par le coiffeur et le loyer (pour mon appart, à Paris il faudrait presque mettre un 1 devant…), on comprend très vite pourquoi tant d'expats ne rentrent pas ou sont à ce point nostalgiques. Pour un niveau de vie de cette qualité, le seul moyen de rentrer, c'est d'avoir fait fortune. La question étant : avec ou sans argent, pourquoi faut-il rentrer ?

 

Mercredi 22 juin 2005

 

J'ai emprunté La route du retour à l'AFS mais même le Big Jim me tombe des mains…

 

Un bout d'après-midi chez Ikea pour budgeter le mobilier des bureaux… Il faut bien s'occuper, même si la solitude reste la même. La journée la plus dure depuis mon arrivée, je crois. J'en ai mal aux dents à force de les serrer tout seul dans mon coin.

 

Lundi 27 juin 2005

 

Fin de l'atelier d'écriture à l'AFS, hier matin. Productions très scolaires mais ces Chinoises n'en finissent pas de m'étonner…

 

F est arrivé hier vers 15h dans l'idée de rencontrer les Indiens un peu plus tard dans la journée… Ils ont annulé leur voyage mais envoyé un mail disant leur intérêt pour ALC, demandant également combien cela allait leur coûter… Quand les choses vont vraiment démarrer, il va falloir s'accrocher au bastingage - avec eux et/ou avec d'autres… Après une après-midi de mises au point diverses, nous sortons dîner...

 

J'ai découvert que la TV et le lecteur de DVD faisaient à eux deux une hi-fi tout à fait convenable. L'appartement est moins vide, plein de sons, notamment du reggae qui tend un lien vibratoire de 10 000 kms avec Jorm'… Keep the fire burnin', said the kid.

 

Mardi 28 juin 2005

 

Orage dantesque ! Dix centimètres d'eau sur Xin Le Lu ! Orage tropical, moiteur à la fenêtre, nuit totale aux environs de quatre heures de l'après-midi, un temps à faire l'amour sauvagement avant de s'asseoir contre le frigo porte ouverte… A ce propos, revu In the cut de Jane Campion avec une Meg Ryan parfaite et un acteur que je ne connaissais pas, Mark Ruffalo, également parfait. La version DVD ne souffre pas des coupes de la version TV et le sexe s'en trouve dignifié. Mon étonnement à constater que ce film sans bavure qui mélange élégamment polar, thriller, psycho et esthétisme new-yorkais, soit passé inaperçu quand bien même produit par Nicole Kidman… Combien de super méga hyper productions, les fameux blockbusters, n'arrivent pas à la cheville de ce petit film…

 

Mercredi 29 juin 2005

 

Toujours autant de mal à prendre des initiatives, à initialiser le contact avec la vie… De réel intérêt pour rien. Je ne suis motivé que par l'altérité, par l'échange, l'offre et la demande, l'aventure humaine. Prendre des cours de chinois ? Oui, certainement, avec plaisir ! Encore me faudrait-il rencontrer quelqu'un(e), qu'une opportunité se présente… Aller m'inscrire, tout seul, dans un cours quelconque, me déprime rien que d'y penser. Aller faire du vélo me ferait le plus grand bien… Pour aller où ? Et il en a toujours été ainsi. Pour entreprendre, j'ai besoin de sentir, ou de croire…, que c'est utile et/ou agréable à quelqu'un – femme, enfants, amis, collègues. C'est à dire que plutôt que de créer l'opportunité, je l'attends au fond d'un trou où elle a peu de chances de se présenter. Il m'arrive de considérer que c'est de la sagesse…

 

Même orage qu'hier… Heureusement que je suis allé me faire payer à l'AFS ce matin ! Il est envisagé de reconduire l'atelier d'écriture en septembre… 100 balles de l'heure, ce n'est pas l'Amérique, c'est juste la Chine, mais c'est du bon relationnel, un contrepoint nécessaire à cet univers business pour le moins sujet à caution… Vous aurez toujours une carrière double, mixte...

 

Amiel avait raison, un journal, des carnets, ça ne sert qu'à surseoir à l'acte créateur tant redouté car possible révélateur d'impuissance. Entrelacs d'incompétences diverses - notamment à me satisfaire de ma chance -, ces carnets ont-ils jamais eu quoi que ce soit de chinois… En bientôt trois mois, j'ai à peu près fait le tour du petit périmètre dévolu à l'expat que je suis... Il faudrait maintenant rencontrer une famille, une femme, être invité à jeter un œil de l'intérieur sur ces caractères compliqués et tortueux… La langue est bien sûr indispensable… Il semblerait que ce ne soit pas encore l'heure... @+



16/02/2007
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