Le temps d'un passage

Mercredi 12 juin 2007

Revu Thelma & Louise… Film culte, selon l'expression consacrée, ce road-movie des années 90 approche de sa majorité avec une belle intemporalité malgré la typologie vestimentaire, esthétique, des personnages. Ridley Scott sait filmer et raconter une histoire aux clés universelles et populaires, c'est désormais une évidence. Il possède cette qualité narrative d'intégration de l'individu au grand tout, de sublimation du grain de poussière pris dans la tourmente du désert humain. La mutation progressive de Thelma / Geena Davis, notamment via son premier orgasme, est en ce sens exemplaire. Le réveil sonne et la femme se réveille avec une méchante gueule de bois sans avoir jamais bu une goutte d'alcool… A cette instant, sans aucun doute, elle se réveille pour toutes les femmes ! Et le beauf magistral qu'incarne son mari fait certainement mal à l'Amérique du monde entier. C'est probablement lui qui a le moins bien vieilli du film mais il est déterminant dans cette surexposition du particulier qui conquiert facilement le général… La bonne idée du film, c'est Michael Madsen. Le petit ami de Louise / Susan Sarandon échappe au vitriol réservé aux hommes en formant un duo d'âmes sensibles avec Harvey Keitel, le flic improbablement concerné par le sort des deux fugitives. En cela, les louanges enflammées de la gent féminine se reconnaissant enfin dans un film de grande audience sont passées à côté de l'intention du réalisateur qui va au-delà de la défense et illustration de la condition féminine. Grâce au personnage de Michael Madsen, Scott offre une sorte d'A l'est d'Eden à ses deux héroïnes. Elles ne s'affranchissent pas seulement du joug sévèrement burné des mâles à deux balles – bien qu'une lecture du film en première intention le souligne en gras…-, elles rompent radicalement avec le carcan normatif de la société quand bien même celle-ci leur parlerait d'amour, de tendresse et de douceur… L'aspiration à la liberté est fondamentalement unisexe parce qu'au-delà du sexe et de l'amour, un appel qui ignore les hormones de l'individu soudain réquisitionné par la nécessité d'être, tout entier et sans références. Hélas, on arrive à l'inéluctable fin tellement cinégénique… Lors de la traque et de l'assaut final, une présence féminine parfaitement intégrée, complice du régime machiste, aurait grandement ajouté à la crédibilité intellectuelle du projet… Et le grand plongeon romantique enfonce le clou d'un sans issue, d'une terrible réduction des possibles : sois soumise ou meurs… On peine donc à saisir l'enthousiasme féminin pour ce film, sauf à y voir l'expression d'un fatalisme justifiant tous les confortables compromis…

 

88 minutes pour en finir avec Pacino ? A peu près le même que dans The recruit - Colin Farrel ici remplacé par une jolie rousse réduite aux utilités comme sortie du catalogue de La Redoute, Alicia Witt -, le vieux fait son boulot com d'hab, surjouant peut-être un peu moins dans les roulements d'yeux, et le cynisme revenu de tout du mec qui en a tellement vu que désormais la vie ne peut plus être que drôle, tellement drôle. Il est psy cette fois-ci, méga psy star en Porsche etc terriblement charismatique pour ses étudiants – oui, il enseigne aussi… Il a fait fortune, du moins réussi au sens américain du terme, en basant son business sur l'armée des Hannibal Lector qui infestent l'Amérique et rend nécessaire la présence d'un Smith & Wesson dans tout sac à main de femme qui se respecte… Et puis il a beaucoup souffert aussi, sa petite sÅ“ur est morte torturée par un malade pendant 88 minutes et là, maintenant, pendant cet épisode du syndrome 24 hours, c'est son tour… Jon Avnet a beaucoup fait parler de lui, en bien, pour ses Beignets de tomates vertes (pas vu), mais sa filmo dit qu'il est essentiellement un producteur issu d'une école de commerce… Comment se fait-il qu'il ait ignorer cette règle d'or ? Si tu rates ton méchant, tu rates ton film… Il est pourtant pas mal le méchant avec son sous rire carnassier, son profil nazi aux yeux bleus délavés par la folie, etc – excellent contraste avec la combinaison orange des condamnés à mort… Il semblerait qu'au montage, la crainte que le spectateur ne s'endorme en l'absence de Pacino dans le moindre plan l'ait emportée sur le bon sens scénaristique. Il s'agit donc d'un clip Pacino, d'une pub à voir entre deux films… Allez, Al, paie tes impôts et essaie de revenir avec un peu de cinéma… C'est ton psy qui t'a suggéré de tourner n'importe quoi plutôt que de rester à rien faire et retourner à la coke ?

 

Beaucoup aimé le Faubourg Saint-Denis réalisé par Tom Tykwer dans Paris, je t'aime… Donc, en croisant Run, Lola run dans le bac de mon dealer préféré au coin de Huai Hai Zhong Lu et Baoqing lu, je prends… Aïe ! J'ai un peu de mal avec les films jeunes, de jeunes, pour jeunes, de toute éternité. Trainspotting échappait à cette maladie proche de l'acné, il était aussi question de cinéma, de société, de destins variés. Avec Lola, on affronte le vide techno d'un univers clos qui ignore et/ou rejette tout héritage… Les rues sont vides, les têtes sont vides, les plans sont vides… Cheveux rouges, cheveux jaunes, beat beat beat, et une bonne idée facile (les trois options d'une même histoire) deviennent ainsi le représentant d'une génération. Pauvre… Retrouver le cri de Natalie Portman, la narration basée sur le tempo de la vie associé au rythme cardiaque du temps qui passe, et les accélérations de l'histoire en adéquation fond/forme laisse craindre que tout l'univers du réalisateur soit ici résumé… Trop pauvre…


13/06/2007
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